Ce n’est pas une nouveauté, l’art cinétique présenté presque dans son intégralité dans cette gigantesque exposition au Grand Palais, utilise et exploite les lois physique (vibration des ondes lumineuses), physiologique (persistance rétinienne) et leur interprétation par les neurosciences cognitives (illusions d’optiques et posturologie). Cette rencontre art science-là a déjà été théorisée par Frank Popper et exposée dès les années 50 par la célèbre galeriste Denise René et à l’occasion des expositions « Lumière et mouvement » au MAM en 1967 et « Electra » à l’ARC en 1983. Vous trouverez en téléchargement en fin de billet un article (« du salon au cyberspace – la critique d’art face à la technologie ») dans lequel je retrace la façon dont les critiques d’art ont appréhendé ce nouvel art cinétique, père de l’art numérique.
La rencontre que je vais raconter est d’une nature différente: il s’agit d’une expérience de neuroscience menée par Marine Vernet (post-doctorante), Alexandre Lang (post-doctorant) et Aurélien Morize (étudiant), basée sur l’exposition et à laquelle je me suis prêtée récemment – occasion offerte lors d’un comité scientifique du Groupe de Recherche ESARS dirigé par Zoi Kapoula.
A ce que j’ai compris, il s’agissait de rechercher des corrélations entre les oscillations du corps devant les œuvres et le ressenti éprouvé face à elles – plaisir esthétique, effets physiologiques, compréhension.
Me voici donc à l’entrée de l’exposition, équipée d’une ceinture avec un boîtier muni d’un accéléromètre et d’une carte mémoire pour enregistrer les séquences. Je me laisse emmener devant les œuvres, fermer les yeux, questionner… J’ai été surprise par le fait que, connaissant la plupart de ces œuvres, je les ai découvertes différemment. Il fallait être à plat, immobile, ne pas parler, bras ballants le long du corps. je pensais que limiter mes mouvements me déstabiliserait devant des œuvres dont le principe est justement le contraire. J’ai pu me rendre compte que mon cerveau prenait le relais, comme dans Rotative Labyrinth de Jeppe Hein (1974, photo ci-dessus). L’immobilité me permettait de me concentrer sur le fonctionnement de l’installation et sur le processus de rotation des deux doubles rangées de lames de miroirs autour de moi. Ce n’était pas moi qui bougeais, et je n’ai plus ressenti de déséquilibre. Il faudrait encore comparer cette impression aux résultats de l’expérience !
Autre expérience en arrivant devant triple X neonly de François Morellet (2012). Avec un œil caché, je n’ai vu qu’un enchevêtrement géométrique de néons. Rien d’extraordinaire jusque-là. Mais lorsque j’ai récupéré mes deux yeux, la vision stéréoscopique a permis au relief de jaillir de façon très accentuée, beaucoup plus que lorsque je suis revenue après.
Vraie surprise dans Light Corner de Carsten Holler (1961). J’avais les yeux bandés et le bombardement des flashs de lumière que j’ai perçus étaient si violents que j’avais peur d’ouvrir les yeux au retrait du bandeau. Les couleurs perçues (du rouge – normal à travers la paupière – et du vert – là, je sèche) ont accentué l’inquiétude. Lorsque je me suis décidée à regarder, j’ai vu trois murs couverts d’ampoules blanches finalement moins éblouissantes que les yeux fermés!