La légende du dormeur éveillé de Gaëlle Nollan est un de ces livres inspirants qui nous téléporte dans le Paris des artistes de l’entre-deux guerres, beaucoup plus durablement et fidèlement que l’expérience du Gil de Woody Allen (une nuit à Paris), invité à prendre place dans une voiture qui remonte le temps.
Le poète Robert Desnos est le prisme par lequel le tout Paris et l’Europe de 1928 à 1945 sont présentés. On est plongé dès les premières pages dans les eaux mêlées du surréalisme, en pleine période autocratique de Breton. On rencontre tels qu’ils étaient semble-t-il Foujita, Prévert, Cocteau, Eluard, Ernst, Aragon, Artaud, Carpentier, Garcia Lorca, Neruda Barrault… ses étoiles Yvonne George et Youki, ses amis Deharme, Salacrou, Fraenkel et ses éternels ennemis Céline et Laubreaux.
C’est tout de même un livre à destination de connaisseurs car aucun des personnages n’est présenté : on partage simplement avec eux un dîner, une fin de nuit bien arrosée, une discussion ou une expérience esthétique. Elle est parfois si bien amenée – juste un hameçon bien choisi – qu’on ne peut s’empêcher d’ouvrir « Corps et biens », « Fortunes », « Contrées », de regarder le court métrage « l’étoile de mer », de rechercher désespérément l’enregistrement de l’émission radiophonique « Fantomas », de « la clé des songes ou de rêver d’assister à une représentation de Jean-Louis Barrault.
La seconde partie du livre – période de guerre – se resserre beaucoup plus sur le personnage du poète journaliste libre, résistant mais pas assez prudent, qui assène un « ils sont foutus. On les aura » dès qu’il rentre dans un café.
Ce livre érudit et très bien documenté est une vraie réussite et remet à sa juste place dans l’histoire toutes les dimensions de ce personnage attachant.