PASSEUR ENGAGE D’UN ART SANS FRONTIÈRES
Figure majeure de l’art contemporain entre les années 60 et 2000, le critique d’art, commissaire d’exposition et médiateur Raoul-Jean Moulin fut un infatigable découvreur de talents aux côtés de son ami Pierre Restany. Louis Aragon est le premier à avoir salué son œil et sa plume, mis au service des Lettres Françaises (1958-1972), d’Opus International (1967-1972) et de L’Humanité (1974-1998).
Commissaire de nombreuses expositions – dont celle du Pavillon Français de la 36ème Biennale de Venise en 1972 où il a réuni Viseux, Boltanski, Titus-Carmel, Hernandez et Le Gac – voyageur audacieux et déterminé à faire entendre la voix de l’art durant la Guerre Froide, il a fait connaître en France – et au-delà – le travail d’artistes contemporains des ex-URSS, RDA, Tchécoslovaquie et Yougoslavie – Kijno, Kolar, Mlynarcik, Mihaïlovitch…
A l’avant-garde de la création en France, il fut l’un des piliers de la Biennale de Paris pendant 15 ans, co-fonda la série des Donner à Voir, créa Châtillon des arts ainsi que de nombreuses expositions dans le Val-de-Marne. Nommé directeur du Fond Départemental d’Art Contemporain du Val-de-Marne en 1982, il a constitué l’importante collection à l’origine du MAC/VAL, avec des noms tels que Asse, Manessier, Debré, Villeglé, Soulage…
Secrétaire général de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA) et reconnu par de nombreuses distinctions, Raoul-Jean Moulin, atteint par un grave accident de santé, a fait don au MAC/VAL de ses archives en 2007.
Biographie détaillée de Raoul-Jean Moulin

Critique d’art, écrivain, Raoul-Jean Moulin a toujours eu le goût de pousser les portes qui ouvrent sur d’autres mondes : la radio, le cinéma, la télévision, et bien sûr les voyages jalonnent de ce fait sa vie et y tiennent une place importante parmi les multiples formes d’intérêt qu’il a très tôt manifestées pour la diffusion de l’art contemporain.
Né à Saint-Etienne le 10 janvier 1934, il y fréquente Jean Dasté et sa troupe – la Comédie de Saint-Etienne – travaille quelque temps à La Dépêche en 1950 avant de sauter l’année suivante dans le train de Paris poussé par le poète-graveur André Montcoudiol, dit « le Vicomte ». Accueilli quelques temps par le dessinateur Charles Fourneyron, il arpente les musées, les théâtres, les cinémas, le monde des artistes et des écrivains, alors qu’il a à peine 17 ans. Il est rapidement hébergé chez les dominicains, rue du Bac, qui lui donnent le gite, le couvert et surtout un travail : bibliothécaire. Il y rencontre deux hommes qui vont orienter sa vie : le père Congar, prêtre de gauche donc suspect aux yeux du Vatican, notamment pour ses positions sur le laïcat et l’œcuménisme – Moulin a continué une correspondance avec lui ; et le père Vallée, qui va éveiller en lui la « révélation de l’art ». En effet, il le côtoie au moment où il a créé la galerie du Haut Pavé, qui offre aux jeunes artistes leur première exposition pour les lancer, tels Arman, Manessier, Lora ou beaucoup d’autres.
Un tout autre horizon s’ouvre à lui en 1953, lorsque le service militaire l’envoie pour deux ans en Afrique Occidentale. Nommé caporal-chef un 1er avril (1955) puis libéré de ses obligations, il rentre au service Information de radio Abidjan-matin en Côte d’Ivoire, comme rédacteur-documentariste, grâce à l’intersession de Théodore Monod. Il participe ensuite en tant que chroniqueur, à la création de Radio Abidjan de 1955 à 1957, date à laquelle il réalise la fiction Le château des pauvres. Il crée aussi dans la capitale un Cinéclub où il rencontre Jeanine, qui va devenir sa femme. Un an plus tard, de retour à Paris, il débute avec Jean Rouch une collaboration qui durera jusqu’en 1962, au comité du film ethnographique du Musée de l’Homme.
Les années soixante sont pour Raoul-Jean Moulin une période d’explorations sans frontières. La critique d’art en est l’axe majeur, le tronc : à partir de 1958, il devient critique permanent à l’hebdomadaire Les Lettres Françaises, alors dirigé par Aragon qui l’avait repéré, et le restera jusqu’à ce qu’il cesse de paraître en 1972, puis à L’Humanité, qui lui ouvre ses colonnes jusqu’en 1998. Mais il est aussi, et simultanément, rédacteur publicitaire, employé à la documentation photographique de la Cinémathèque Française en 1964, documentaliste, lecteur correcteur aux éditions Hazan. Il collabore en outre à plusieurs revues d’art, émissions de radio et de télévision.
Cette époque est aussi celle des premières publications, Sources de la peinture : Préhistoire, Afrique, Océanie (1965), Henri Matisse, dessins (1969), Pignon (1970) et des créations : co-crée la série d’expositions Donner à voir (1962-66), puis Opus International avec Jean-Clarence Lambert et Jean-Jacques Lévèque en 1967 (jusqu’en 1972) et il organise de nombreuses manifestations d’art contemporain, qu’il préface, dans des galeries et des centres culturels. Les expositions Châtillon-des-Arts, par exemple, dureront dix ans, de 1966 à 1976 et seront le lieu, notamment, de son Hommage à Courbet, avec le slovaque Mlynarczik.
Raoul-Jean Moulin privilégie aussi les formes d’engagement utiles à la diffusion de l’art, des plus prestigieuses aux plus pragmatiques : ainsi, c’est pour leur retentissement international qu’il contribue aux travaux de la Biennale de Paris de 1961 à 1975, sous la houlette de George Boudaille, et intervient, à l’invitation de Bernard Anthonioz, comme commissaire du pavillon français de la 36ème Biennale de Venise en 1972, (autour de la thématique « œuvre et comportement » et des artistes Claude Viseux, Gérard Titus-Carmel, Mariano Hernandez, Jean Le Gac et Christian Boltanski) ou encore, la même année, comme commissaire de « Panorama de l’art français contemporain », au Caire. Et c’est pour l’efficacité concrète sur le terrain qu’il est, de 1969 à 1973, membre de la commission nationale du 1% auprès du ministère des affaires culturelles.
Son rôle au sein de l’Association Internationale des Critiques d’Art est également des plus actifs : Secrétaire général adjoint de 1972 à 1978, puis Secrétaire général de 1979 à 1984, il collabore à ce titre avec l’UNESCO dont il devient consultant pour les arts plastiques, œuvrant notamment à la préparation et à l’édition du colloque international « Picasso, célébration du centenaire d’une naissance », tenu à Paris en 1981.
Ecrivain d’art avant tout, il poursuit la publication (depuis 1964 jusqu’à 2005) d’études ou essais sur Cézanne, Giacometti, Picasso, Matisse, Miró, Tal-Coat, préface les artistes qu’il fréquente. En 1975, il collabore comme conseiller scientifique à l’édition de L’œuvre poétique d’Aragon (tomes 7 à 12).
Passeur de frontières dans l’âme, il voyage à travers l’Europe du rideau de fer : en RDA, en Tchécoslovaquie, en Yougoslavie, en Russie pour rencontrer des artistes ignorés en France. En 1975, il est envoyé en mission d’information en RDA par l’Union des Arts Plastiques Français avec Ladislas Kijno et James Pichette.
Par de nombreux écrits, il s’attache à faire connaître les tendances de la recherche artistique en Europe centrale et orientale : en témoignent notamment Jiri Kolar, première monographie publiée en France sur l’artiste tchèque, préfacée par Aragon (1973) et Kolar, question de collage (1993), ainsi que Kijno, première monographie consacrée à l’artiste polonais (1994).
En 1990, Raoul-Jean Moulin est commissaire de l’exposition « 70 ans de vie du PCF, de peinture en France » pour « la Fête de l’Huma », et en 1997 de l’exposition « Silvano Lora » pour l’Alliance Française de la République Dominicaine.
A partir de 1982, il est nommé par Michel Germa, le président du Conseil Général du Val-de-Marne, directeur du Fond Départemental d’Art Contemporain (après qu’il ait été son conseiller culturel) et de ses éditions, pour lesquelles il conçoit et réalise à l’échelle muséographique une collection originale Les yeux fertiles / Suite Paul Eluard. Moulin, secondé un temps par Daniel Abadie, Geneviève Picon, Jean-Paul Amline, et Jean-Louis Andral, est le principal instigateur des acquisitions et dons qui forment aujourd’hui la collection du FDAC pendant 18 ans. Dès la fin des années 80, il a voulu donner une dimension muséographique à cette collection et a participé activement au projet de fondation de l’actuel Musée d’Art Contemporain du Val-de-Marne – MAC-VAL.
Raoul-Jean Moulin est Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres (1985), Chevalier national du Mérite (1989) et Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur (2003).