La 4ème édition du festival Premier Contact sort de la rue. Elle rentre gentiment dans les locaux du Cube, métamorphosés pour l’occasion en une succession de petits salons privés sombres, assez chaleureux, ce qui est très propice à l’accueil des œuvres numériques habituées aux grands espaces sans âme.
Le contenu de l’exposition est loin d’être aussi exhaustif que son titre – L’art numérique aujourd’hui
– ne le suggère, mais elle regroupe une bonne variété d’œuvres individuelles ou collectives. Le Cube – Art 3000 nous avait habitué aux œuvres comportementales, son catalogue s’étend ici, quitte à perdre sa spécificité, aux œuvres interactives et génératives.
En tous cas, c’est une exposition d’une excellente qualité, comme vous pouvez le constater dans l’aperçu vidéo (voir aussi ). J’ai eu de nombreux coups de cœur et un coup au cœur.
Coup au cœur: Body Paint de Mehmet Akten est une installation interactive classique – j’entends par là que, lorsque je bouge mon bras, il se passe visiblement quelque chose tout de suite – dans laquelle les visiteurs peignent virtuellement sur un écran, chaque geste créant un éclat de couleur. Il y a trois variantes : le déplacement qui fait presque un à-plat, les gestes vifs qui font exploser des pots de peinture et les gouttelettes qui dégoulinent quand on secoue les doigts. Dès qu’on s’immobilise, le reset se fait et l’écran se lave. C’est très beau, il y a plein de couleurs très jolies, c’est ludique et tout le monde adore, adultes compris. Alors, pourquoi un coup au cœur ? Je trouve que l’artiste s’est arrêté en chemin, qu’il a préféré la facilité d’une démo qui aurait plus sa place à Laval Virtual ou à la Villette qu’ici. En effet, si on s’en tient au commentaire, on est censé effacer la peinture de l’autre avec la sienne. Mais là, le réglage est tel que les couleurs se mélangent en un ensemble assez harmonieux. Si on voulait s’imposer, il faudrait littéralement pousser physiquement les peintres parasites hors du champ de la caméra. Mais à quoi bon ? Les couleurs sont les mêmes pour tous et on ne les maîtrise pas. L’idée de cette rivalité physique qui s’affiche sur l’écran serait vraiment intéressante si elle se réalisait dans l’installation.
Les coups de cœur maintenant, qui sont nombreux.
Depuis le début des années 70, l’usage des technologies dans l’art est enfermé par ses détracteurs dans deux termes : le propre et l’utile, ce qui, d’un coup, disqualifie toutes les propositions à l’accès au « supplément d’âme » propre à l’art. Et il est vrai que longtemps, que ce soit dans les années 50 à 70 par volonté d’inscription dans les mouvements constructiviste et dans l’abstraction géométrique, ou dans les années 80 par manque de maîtrise technique associé à une volonté de réalisme, les expérimentations se sont cantonnées à une esthétique industrielle, voire plastique, qui a d’ailleurs permis de les situer hors-classe. Lotus 7.0 de Daan Roosegaarde, entre autres, témoigne du dépassement définitif de ce carcan high-tech dans une interaction très simple mais subtile. Un mur métallisé à la fois solide et fragile, réagit à la présence du visiteur qui s’approche suffisamment de lui: sa chaleur corporelle est captée. L’espace devant lui s’éclaire alors et la transformation est délicate; c’est une offrande pour qui sait la voir, s’arrêter, contempler et alors seulement, capter les infimes mouvements des pétales de lotus argentés qui s’ouvrent et se referment dès le départ du visiteur.
Les explorations de la compagnie Adrien M. ne manquent pas non plus d’intérêt, en particulier Anamorphose spatiale : sur le sol est projeté une grille blanche sur fond noir – rendu minimal mais efficace – animé de mouvements en vagues plus ou moins profondes. Comme l’installation n’est pas interactive (force de l’habitude, il m’a fallu plusieurs passages pour m’en rendre compte), on ne sait pas du tout où le sol va s’effondrer. Même si l’anamorphose n’est pas flagrante, les mouvements sont particulièrement efficaces car naturels.
Cette exposition est riche et variée et positionne définitivement Le Cube – déjà reconnu par Art 3000 comme espace de résidence et de production – comme un lieu incontournable de l’art numérique en France.